Les deux Alexandre ou délai et décision

I. — « J’y réfléchirai, Monsieur. »

Le travail de la semaine était terminé, l’horloge venait de sonner dix heures, lorsqu’un samedi soir, pendant l’hiver de 1865-6, après avoir fait ma tournée dans plusieurs salles de l’hôpital royal à Édimbourg, je m’approchai du lit d’Alexandre S. — Il avait été admis quatre jours auparavant, sur des symptômes évidents de phtisie. Ce soir-là, j’examinai sa poitrine plus soigneusement que je ne l’avais fait jusqu’alors, et ce fut probablement ce qui provoqua de sa part cette question :

— Eh bien ! docteur, que pensez-vous de mon état ?

Alexandre S., ouvrier charpentier, était un beau garçon de vingt ans, dont la figure calme et intelligente ne dénotait guère la présence de la maladie qui avait fait de si terribles ravages dans ses poumons. Pourtant, il y avait déjà quelque temps qu’il souffrait, et je jugeai qu’il devait être préparé à entendre la vérité.

— Vous êtes assez malade, Alexandre, lui dis-je, je regrette d’avoir à vous le dire.

— Je m’en doutais, Monsieur. Pensez-vous que je puisse me rétablir ?

— Je crains que dans ce froid climat de l’Angleterre, il n’y ait pas grand espoir de guérison pour vous. Le seul moyen peut-être serait d’aller dans un pays plus chaud, en Australie, par exemple.

— Ah bien ! il n’y a pas de chance de ce côté-là, fut sa réponse. Je n’ai pas les moyens de m’y rendre, ni d’amis en état de me payer le voyage.

— J’espère donc que vous ferez ici tout ce que vous pourrez pour moi.

— Vous pouvez être tranquille, lui dis-je. Tout ce que l’art et des soins sont capables de faire, on le fera.

— Je vous remercie, Monsieur, répondit-il d’un ton calme.

Il ne paraissait nullement troublé par ce que je venais de lui dire. Évidemment il s’y attendait. Il y eut un moment de silence ; puis, changeant de sujet, je lui demandai :

— Maintenant que nous nous sommes occupés de ce pauvre corps périssable, qu’avons-nous à dire de l’âme ? Êtes-vous sauvé, Alexandre ?.

— Je ne puis pas le dire, Monsieur.

— Il me semble que c’est pourtant le moment d’envisager en face ce qui concerne l’éternité. Pourquoi n’allez-vous pas à Jésus pour être sauvé ?

— J’ai déjà pensé à ces choses, Monsieur ; j’ai lu quelquefois la Bible, et lorsque j’étais bien portant, j’allais de temps en temps à la chapelle. Je sais que je ne suis pas ce que je devrais être ; cependant je ne suis pas aussi vicieux que bien des jeunes gens de ma connaissance.

— C’est très possible, Alexandre ; mais il ne s’agit pas de cela. Lors même que vous ne seriez pas aussi mauvais que bien d’autres, croyez-vous que cela vous serve à quelque chose devant Dieu ?

— Bien sûr que non, Monsieur ; seulement je n’ai pas trop mal vécu, et j’espère être sauvé.

— Il ne faut pas simplement « espérer d’être sauvé ; » vous pouvez connaître et posséder le salut en ce moment même, si seulement vous recevez Christ.

Voyant que son attention était éveillée, je m’assis près de lui et lui annonçai l’Évangile avec autant de simplicité et de clarté qu’il me fut donné de le faire. Il répondit à toutes mes questions sans trop de réserve, et, à mesure que je plaçais toute sa culpabilité devant sa conscience, je pus voir qu’il était convaincu d’être un pécheur, et de plus, un pécheur perdu s’il venait à mourir tel qu’il était. Je lui parlai alors de la croix, cette unique porte de salut que Dieu place devant les pécheurs perdus ; je lui montrai que Dieu ne lui demandait pas autre chose que de croire au Seigneur Jésus ; et je le pressai d’accepter immédiatement la miséricorde et le salut de Dieu qui lui étaient présentés.

Il m’écouta tranquillement jusqu’au moment où l’horloge sonna onze heures, et il me dit alors avec une certaine emphase :

— J’y réfléchirai, Monsieur.

— Prenez garde, lui dis-je, pourquoi voulez-vous réfléchir quand Dieu vous demande de recevoir Christ et d’être sauvé dès cet instant ? Le geôlier de Philippes entendit parler de Jésus, il crut et fut sauvé à « cette même heure. » Ne remettez pas à plus tard de prendre une détermination, je vous en supplie.

— Je vous promets d’y réfléchir, Monsieur. Bonne nuit.

Le voyant décidé à « réfléchir » seulement, au lieu de « recevoir » le message de Dieu, je lui dis bonsoir, mais à regret.

Le lit d’Alexandre était placé à l’extrémité de la longue salle. Je la traversai dans toute sa longueur ; j’ouvris la porte et j’allais sortir, lorsqu’il me sembla entendre une voix qui me disait : « Retourne auprès de lui et parle-lui encore une fois. » J’hésitai. Était-ce mon imagination ? Était-ce le Seigneur qui voulait adresser un dernier appel de la grâce à celui qui refusait de l’écouter ? « Retourne ! » semblait répéter la voix.

Je revins auprès du lit d’Alexandre, et, me penchant sur lui, je lui dis :

— Alexandre, je ne puis vous quitter sur cette effrayante parole : « J’y réfléchirai ! » Décidez-vous à aller à Christ. Il se peut que vous n’ayez plus jamais l’occasion d’entendre l’Évangile et d’y croire. Dieu dit : « Maintenant est le temps agréable, maintenant est le jour du salut, » et je suis revenu pour vous supplier encore une fois de ne pas « y réfléchir, » mais de recevoir Christ.

Je fus peiné de voir une expression d’impatience se montrer sur son visage. Il redit encore : « J’y réfléchirai, Monsieur ! » répéta une seconde fois : « Bonne nuit ! » Et je le quittai… le cœur serré.

II. — Le matin de la mort.

Le lendemain, jour du Seigneur, à huit heures précises du matin, l’infirmière entra précipitamment dans ma chambre, située dans une partie éloignée du bâtiment, me priant de venir immédiatement voir Alexandre. J’y allai aussitôt. Un silence de mort régnait dans la salle. Plusieurs malades et les deux infirmières étaient debout autour de ce lit, près duquel je m’étais assis neuf heures auparavant pour parler de Christ et du salut à celui qui l’occupait. À mon approche, on s’écarta et Alexandre s’offrit à ma vue, le visage aussi blanc que le drap de son lit. Il était, non pas évanoui, comme on le supposait ; il était mort.

Il s’était levé le matin comme d’habitude, et s’était assis pour déjeuner, lorsque tout d’un coup, sans que rien l’annonçât, des flots de sang s’échappèrent de sa bouche : un gros vaisseau venait de se rompre dans sa poitrine, et avant qu’on eût pu le replacer sur son lit, la vie s’était éteinte.

Jamais je n’oublierai ce moment ! Alexandre S. n’était plus ! Où était son âme ? Hélas ! je le crains, dans les ténèbres éternelles, dans cette nuit sans matin où tant d’âmes sont entrées par la porte fatale du délai.

III. — « Je ne veux pas m’endormir avant que tout ne soit réglé. »

C’était un froid et sombre jour d’octobre de l’année 1865. Tout était enveloppé d’un épais brouillard, et il soufflait un vent glacial. Au dehors l’humidité, le froid, la boue ; au dedans l’ordre et la propreté. Aux deux extrémités de la salle d’hôpital, un brasier pétillant répandait une bienfaisante chaleur.

Le moment de la visite du médecin de service approchait, lorsque deux jeunes gens entrèrent. Le plus âgé, s’adressant à moi, dit : « Auriez-vous la bonté, Monsieur, de faire une ordonnance pour mon ami, qui a une mauvaise toux ? »

Me tournant vers son compagnon, je vis un jeune homme d’environ dix-sept ans, d’une beauté rare et presque féminine. Les traits de son visage offraient la plus parfaite harmonie. Rien n’indiquait qu’il eut besoin d’aucun traitement, sauf une fatale tache rouge sur chacune de ses pommettes, signalant un mal auquel il fallait apporter des soins immédiats. Après une ou deux questions et un examen rapide, je crus devoir l’engager à rester à l’infirmerie. Il hésita, disant qu’il était venu de Londres pour avoir quelques jours de congé, qu’être à l’hôpital ne répondrait guère à son but, et que, d’ailleurs, il ne se croyait pas malade à ce point. À certains égards, il avait raison ; cependant, il m’intéressait tellement, que je lui fis remarquer combien il y avait d’imprudence pour lui à faire beaucoup de courses par un temps aussi humide. Son ami joignit ses instances aux miennes et, après un moment de réflexion, le jeune homme consentit à revenir le lendemain matin.

Le samedi donc, Alexandre U. entra dans la salle, et à ma visite du soir, je procédai à un examen attentif de l’état de sa poitrine. Comme je l’avais supposé, les poumons étaient atteints.

Je lui fis quelques questions. Il me dit que sa mère était morte poitrinaire ; quatre de ses frères avaient été emportés par la même maladie, et « je crains beaucoup, ajouta-t-il, que je ne sois en train de suivre le même chemin. »

— Vraiment ! Qu’est-ce qui vous le fait penser ?

— C’est qu’ils ont tous commencé comme moi ; et, je ne sais pourquoi, mais je ne crois pas que je me rétablisse. Qu’en pensez-vous, docteur ?

— Ce que vous m’avez dit de votre famille rend certainement le cas assez grave ; cependant, comme le mal a été reconnu au début, j’ai l’espoir qu’un bon traitement pourra l’arrêter.

Il eut l’air incrédule, bien que reconnaissant, et comme je voyais qu’il paraissait prendre confiance en moi, je lui dis :

— Alexandre, dans le cas où vous ne vous remettriez pas, que deviendrait votre âme ? Êtes-vous prêt à mourir ?

— Moi ? Oh ! non, Monsieur, je ne suis pas prêt. Si j’étais appelé à mourir en cet instant, je sais que je serais perdu pour toujours.

— Vous avez donc quelquefois pensé à votre âme ?

— Non, Monsieur, je ne puis pas dire que j’y aie jamais pensé bien sérieusement, quoique j’aie été élevé dans de bons principes. Mes parents étaient pieux. Ma mère priait beaucoup, mais elle est morte depuis bien des années. Elle est au ciel, je pense (ici le souvenir de la foi et de la piété de : sa mère remplit ses yeux de larmes). J’ai reçu de bons enseignements aussi longtemps que j’ai été un enfant ; mais j’ai dû quitter la maison et suis venu à Londres pour être commis dans un bureau.

— Et qu’avez-vous fait à Londres ?

— Pour vous dire la vérité, Monsieur, je fis

de mauvaises connaissances, je m’abandonnai bientôt à toutes sortes d’excès, et je ne doute pas que ma vie déréglée ne soit la cause de ma maladie. Je ne puis m’en prendre qu’à moi-même et n’ai que ce que je mérite. Il n’y a donc pas moyen que je sois sauvé, car je ne suis qu’un misérable pécheur.

— N’aimeriez-vous pas être sauvé ?

— Oui, certes, Monsieur ; mais il n’y a pas de salut pour ceux qui sont tels que moi.

— Voilà où vous êtes dans l’erreur. N’avez-vous jamais entendu ceci : « Cette parole est certaine et digne de toute acceptation, que le Christ Jésus est venu dans le monde pour sauver les pécheurs ? » Vous êtes celui-là même que Jésus cherche et pour lequel il est venu. Il est le Sauveur et vous êtes un pécheur ; l’un est fait pour l’autre. Le pécheur a besoin d’un Sauveur qui le sauve, et le Sauveur est à la recherche du pécheur afin de le sauver. Il y a plus : Jésus est mort pour le pécheur. Le verset 8 du chap. 5 de l’épître aux Romains nous dit : « Dieu constate son amour à Lui envers nous, en ce que lorsque nous étions encore pécheurs, Christ est mort pour nous.  » Maintenant ne croyez-vous pas que Jésus est mort pour vous ?

— Je crois, Monsieur, qu’il est mort pour vous, car vous êtes un homme pieux ; mais il n’aurait pas donné sa vie pour un misérable tel que moi.

— Vous vous trompez de nouveau, Alexandre. Ce n’est pas pour les bons que Jésus est mort, car nul n’est bon que Dieu seul, et « il n’y en a aucun qui exerce la bonté, non, pas même un seul. » Vous voyez donc bien que, pas plus que vous, je ne suis bon, et pourtant, Jésus est mort pour nous. La raison pour laquelle il est mort, c’est qu’il nous aimait, comme Paul le dit : « Qui m’a aimé, et qui s’est livré lui-même pour moi. » Oh ! pensez à cet amour, confiez-vous en Lui. Il y a en lui un salut complet, gratuit, si vous le recevez. Voulez-vous aller à Lui, maintenant ? à Lui qui est mort pour des pécheurs, et qui est vivant maintenant dans la gloire, attendant pour vous recevoir, vous bénir, vous sauver, ainsi qu’il a sauvé le brigand sur la, croix ?

— Ah ! Monsieur, tout cela est pour des gens comme vous, mais non pas pour moi.

Je me souviendrai toujours de cette soirée que je passai à parler à Alexandre de la grâce et de l’amour qui sont en Jésus. Étendu sur son lit, les lèvres serrées, les narines dilatées, les yeux baignés de larmes et fixés sur moi, il écoutait avec avidité : on voyait que pour lui il s’agissait de la vie. Chaque mot semblait entrer dans son âme, et à mesure que je lui montrais l’amour du Seigneur, le sentiment de ses péchés devenait toujours plus profond.

Il était tard. On avait baissé les lampes et j’allais lui souhaiter une bonne nuit, quand il me dit :

— Monsieur, ne voudriez-vous pas prier avec moi avant de partir ? Je vous suis bien reconnaissant de m’avoir parlé comme vous l’avez fait ; maintenant j’aimerais beaucoup que vous priiez.

Je le fis, en me confiant au Seigneur pour qu’il bénît ce jeune homme ce soir-là même. Quand j’eus fini, Alexandre me saisit la main :

— Merci beaucoup, Monsieur, dit-il, je ne veux pas m’endormir avant que tout ne soit réglé.

— Et maintenant, bonne nuit, lui dis-je, vous devez être fatigué.

IV. -- La vie au matin.

Le dimanche, je faisais ma tournée d’assez bonne heure, de sorte que peu de minutes après neuf heures, je me retrouvai dans la salle où était Alexandre.

Je venais à peine d’entrer, que mon oreille fut frappée d’un : « Bonjour, Monsieur !  » prononcé d’un accent à la fois joyeux et respectueux. Je levai la tête, et vis mon jeune ami debout, tout habillé, au pied de son lit.

— Bonjour, Alexandre.

— Tout est en ordre, Monsieur !

— En ordre ! de quoi parlez-vous ?

— De ce que vous avez dit hier soir. Après votre départ, je ne pus m’endormir, ne cessant de penser à mes péchés et à ce que vous m’aviez dit du Sauveur et de l’amour qui l’a fait donner sa vie à la croix pour des pécheurs tels que moi. Quatre heures sonnaient, sans que j’eusse trouvé du repos, lorsque tout d’un coup il me sembla voir le Sauveur mourant sur la croix, cloué là pour moi et portant mes péchés. Je l’entendis me dire : « Venez à moi, vous tous qui vous fatiguez et qui êtes chargés, et moi je vous donnerai du repos. » J’allai à Lui, et j’ai maintenant le repos. J’ai trouvé Jésus et je suis bien heureux.

La vérité de ses paroles se lisait sur son visage, qui était comme celui d’un ange, illuminé d’une joie divine. On ne pouvait s’y tromper. En toute simplicité et sans réserve, il s’était abandonné à Christ, et, en conséquence, il était rempli « de toute joie et paix en croyant. »

Alexandre resta à l’hôpital pendant environ quinze jours, montrant de toute manière qu’il était vraiment un enfant de Dieu et croissant rapidement dans la grâce. Mais quant à sa maladie, il ne devint bientôt que trop évident qu’elle suivait le même cours que chez ses frères. Je n’avais qu’un conseil à donner, c’était d’essayer un séjour en Australie ; un parent riche lui paya le voyage, et il se rendit à Londres au mois de novembre, pour y attendre le départ d’un navire. Pendant ce temps, je reçus de lui deux lettres. Dans l’une se trouvait cette phrase : « Je suis très heureux pour ce qui concerne le salut de mon âme. J’espère que vous vous souvenez toujours de moi devant le trône de la grâce.  » Dans la seconde lettre, il me disait : « Je suis bien reconnaissant de pouvoir vous dire que je vais beaucoup mieux ; le Dr J. me recommande de partir pour l’Australie le plus tôt possible. Je m’embarquerai donc, s’il plaît à Dieu, le 30 de ce mois (décembre), sur un vaisseau nommé "le London," de Londres. — J’espère que vous ne m’oubliez pas dans vos prières. »

V. — Délogeant dans un orage.

On se souviendra longtemps du mois de janvier 1866, et du superbe vaisseau de 2,000 tonneaux, tout cuirassé de fer, qui attendait à Plymouth ses passagers et ses dépêches. Le capitaine était un homme capable et expérimenté ; des marins choisis composaient l’équipage. Le « London » prit la mer le 6 janvier, faisant route pour Melbourne, avec un chargement évalué à 1, 200,000 livres sterling, et, en outre, une cargaison d’âmes vivantes d’un prix incalculable, au nombre de 239, parmi lesquelles était mon jeune ami Alexandre. Mais à peine la terre était-elle hors de vue que le navire rencontra de fortes brises qui, dans la nuit du 10, dégénérèrent en véritable ouragan. Le « London » était dans la baie de Biscaye lorsqu’il succomba à la fureur de la tempête. Voici le récit qui a été fait de cette catastrophe :

D’énormes vagues se précipitèrent coup sur coup sur son arrière, brisèrent les chaloupes, enlevèrent les écoutilles delà machine, éteignirent le feu, et inondèrent la cale. Au moyen des pompes, le vaisseau fut maintenu à flot jusqu’au matin du 11. Le capitaine rassembla alors tout le monde dans le salon et déclara qu’il n’y avait aucun espoir de salut. Il fut écouté avec calme ; chacun s’attendait à ce qui allait arriver.

M. le pasteur Draper pria à haute voix et exhorta ceux qui étaient autour de lui. La consternation régnait à bord, mais sans aucun désordre. Des mères pleuraient sur les petits enfants qui allaient être engloutis avec elles ; des amis s’embrassaient pour la dernière fois, comme se préparant à partir pour un long voyage. D’autres, ouvrant leurs Bibles, y cherchaient quelque consolation dans des passages bien connus ou depuis longtemps oubliés. À deux heures de l’après-midi, une pinasse fut mise à la mer ; seize hommes de l’équipage s’y embarquèrent avec trois passagers. À peine avaient-ils quitté le « London, » que celui-ci s’enfonça dans les eaux avec les deux cent vingt personnes qui restaient à bord. Mon jeune ami et frère dans le Seigneur, Alexandre U. était du nombre.

Lorsque ce récit déchirant parvint à mes oreilles, j’écrivis au vieux père d’Alexandre pour lui exprimer ma sympathie. Je lui racontai de quelle manière la grâce du Seigneur avait opéré dans le cœur de son fils pendant qu’il était à l’hôpital, et lui dis ma ferme conviction qu’il était maintenant avec Jésus. Je reçus en réponse, une excellente lettre, empreinte de tristesse, comme on le croit aisément, mais pleine aussi de résignation. Voici, en substance, ce qu’il me disait :

« J’ai eu six fils. Quatre déjà sont morts de la phtisie. Le cinquième est malade dans un hôpital en Chine, et peut-être a-t-il succombé. Maintenant le Seigneur a pris à Lui Alexandre, mon plus jeune fils. "L’Éternel l’avait donné, l’Éternel l’a ôté, que le nom de l’Éternel soit béni." Je pense que vous avez été l’instrument dont Dieu s’est servi pour amener mon enfant à la connaissance du Sauveur, et lui, à son tour, a été en bénédiction pour sa sœur. Il lui avait écrit plusieurs fois, en la suppliant de donner son cœur à Jésus, et lorsque le vaisseau était à Plymouth, il eut la joie de recevoir d’elle une lettre où elle lui disait qu’elle aussi avait cherché et trouvé le Sauveur. Je suis donc bien consolé, quoique le coup soit difficile à supporter. »

Que les voies de Dieu sont merveilleuses ! Qu’il est beau de voir la manière dont il bénit, et comment le cercle de la bénédiction va s’élargissant toujours davantage ! Le frère, converti à l’hôpital, amène sa sœur à la connaissance du Seigneur. Lui-même est retiré auprès de Jésus de la manière dont nous venons de parler. Pour combien d’âmes sur ce navire a-t-il pu être un messager de salut ? Dieu seul le sait : le jour du Seigneur le manifestera.

Depuis ce temps, sa sœur a poursuivi son chemin avec joie, et, un an ou deux après, elle est allée rejoindre son frère dans la présence du Seigneur.

Et maintenant, cher lecteur, je voudrais vous adresser quelques paroles ? Avez-vous déjà reçu Christ ? Sinon, n’attendez pas un jour de plus. Que ces récits vous servent à la fois d’avertissement et d’exemple. Quelle ressemblance, et pourtant quel contraste entre ces deux jeunes gens ! Ils portaient le même nom, souffraient du même mal ; ils se sont trouvés au même hôpital, ils avaient à peu près le même âge ; à tous deux la bonne nouvelle du salut fut annoncée. L’un remet à plus tard de se décider pour Christ, et il est plongé subitement dans l’éternité, sans Christ, je le crains. L’autre se décide aussitôt ; il croit simplement en Christ et se trouve en pleine possession de la joie et de la paix. Lui aussi est entré dans l’éternité ; mais je suis assuré qu’il est « avec Christ. » Souvent, quand je me représente le malheureux navire avec sa cargaison d’hommes voués à la mort, je crois entendre, dominant le sifflement de. la tempête, le mugissement des vagues et les accents du désespoir, la voix du jeune chrétien murmurant doucement : « Je suis très heureux quant à ce qui concerne le salut de mon âme !  »

Cher lecteur, pourriez-vous, dans un moment pareil, dire la même chose ? Laissez-vous convaincre. Si vous avez hésité jusqu’à présent, n’hésitez plus maintenant. Commencez une nouvelle vie avec Christ. Qu’il vous suffise de l’avoir rejeté pendant les années qui se sont écoulées, et recevez-Le aujourd’hui par la foi en son nom, de manière à marcher désormais comme étant « une nouvelle création en Christ. » N’écoutez pas Satan qui vous dit « d’y réfléchir » encore, de peur que votre fin ne soit semblable à celle du premier Alexandre ; dites plutôt : « Je ne veux pas m’endormir avant que tout ne soit réglé. » Alors, quoi qu’il arrive, dans la vie ou dans la mort, vous pourrez dire aussi : « Tout est en ordre, » et « je suis très heureux quant à ce qui concerne le salut de mon âme. »

Le Salut de Dieu, 1876, p. 29, 45